mardi 3 mai 2011

Lecture J’aime à toi


 

 

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Cette conception du monde, en effet, ne correspond en rien à celle d’autres cultures où le corps est spiritualisé comme corps et la terre comme terre, le céleste étant la manifestation de notre degré de spiritualisation ici maitenant. Je pense à certaines cultures du yoga que je connais un peu, cultures où le corps est cultivé comme corps non dans cette seule dimension sportivo-musculaire, compétitivo-agressive que nous ne connaisson que trop et qui ne présage rien de bon. Le corps y est cultivé pour devenir plus spirituel et plus charnel, les deux à la fois. Un ensemble de pratiques alimentaires et gestuelles, une attention au souffle dans la respiration, un respect des rythmes du jour et de la nuit, des saisons et des années comme calendrier de la chair, du monde et de l’Histoire, une éducation des sens à la perception correcte, agréable et concentrée, éduquent peu à peu le corps à renaître, à se donner une naissance propre, charnelle et spirituelle, chaque jour à chaque instant. Le corps n’est donc plus simplement corps engendré par les parents, il est aussi celui que je me redonne. De même, l’immortalité n’est plus réservée à l’au-délà et sa condition n’est plus déterminée par un autre que moi. Elle est acquise par chacun(e) dans le respect de la vie et sa spiritualisation. L’universel – si ce mot peut encore ici s’employer – consiste dans l’épanouissement de la vie et non dans la soumission à la mort comme veut le Hegel. Le rassemblement du multiple, le remède contre la dispersion liée à la singularité, la distraction par désir de tout ce qui est perçu, rencontré, produit, se trouvent alors dans l’éducation du sensible à la concentration. Il n’est donc pas question de renoncer au sensible, de la sacrifier à  l’universel mais de le cultiver jusqu’à ce qu’il devienne énergie sprirituelle. Ainsi le regard du Bouddha sur la fleur n’est pas un regard distrait ou prédateur, il n’est pas déchéance de spéculatif dans la chair, il est contemplation à la fois matérielle et spirituelle qui fournit une énergie déjà sublimée à la pensée.

  Cette contemplation est également éducation au plaisir dans le respect de ce qui ne m’appartient pas. En effet, Bouddha contemple le fleur sans la cueillir. Il regarde l’autre que lui sans l’enlever à ses racines. En outre ce qu’il regarde n’est pas n’importe quoi: une fleur, ce qui peut-être nous offre le meilleur objet de méditation sur l’adéquation de la forme à la matière.

  Le regard du Bouddha sur la fleur peut nous servir de modèle. Et la fleur également. Entre nous nous pouvons nous éduquer à être à la fois regardet contemplatif et beauté adéquate à notre matière, épanouissement spirituel et charnel des formes de notre corps. Pour continuer un peu l’enjeu de cette méditation à la fois naturelle et sprituelle d’un grand sage de l’Orient, je dirai que la fleur le plus souvent a une odeur agréable. Elle bouge selon le vent sans rigidité. Elle évolue aussi en elle-même: elle croît, fleurit, repousse. Certaines, les plus attachantes à mon goût, s’ouvrent au soleil levant et se ferment le soir. Chaque saison a ses fleurs. Les plus vivaces d’entre elles, les moins cultivées de main d’homme, connaissant l’éclosion sans perdre leurs racines; elles vont sans cesse de l’apparaître de leurs formes aux ressources de la terre. Elles survivent aux intempéries, à l’hiver. Ce sont peut-être celles qui peuvent le mieux nous servir de modèle spirituel.

Luce Irigaray J’aime à toi

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